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le tempérament

voici l'excellent :

 

blog d'un clavicorde lié construit à Rostock en 2010

 


http://blog-clavicorde-lie.ch/laccord-mesotonique-realise-sur-linstrument/


 

 


III 10 Exemple musical Transition au mésotonique


https://www.youtube.com/watch?v=NhhFytRgt0Y




 

L’accord mésotonique tel qu’il est réalisé sur le clavicorde

 

IV 1 Début construction mésotonique


https://www.youtube.com/watch?v=5iPbnRQMLOM

la manière dont je vous montrerai l’accord ne correspond pas du tout à la pratique normale des accordeurs. Je le fais consciemment parce que cela permet mieux de montrer concrètement sur quelle base se réalisent ces accords.
Partons à nouveau ici du mi bémol ; on accorde tous les mi b du clavier. Puis à partir du plus grave, on fait sonner l’harmonique qui donne deux octaves plus une tierce, un sol (il s’agit donc de la cinquième harmonique). Entre ce mi b et ce sol on resserre de manière égale les quatre quintes mi b – si b, si b – fa, fa – do et do – sol. Il faut en effet resserrer quelque peu ces quintes pour les faire entrer dans la tierce naturelle, puisque celle-ci est plus petite que la pythagoricienne (résultant de la succession de quatre quintes naturelles).


 

IV 2 Différences entre tierces naturelles et pythagoriciennes


https://www.youtube.com/watch?v=AsxTMLWjwSQ

Comparaison tierce pythagoricienne-tierce naturelle

Avant de poursuivre, je voudrais revenir encore sur la différence entre ces deux sortes de tierces majeures, la naturelle et la pythagoricienne, car c’est un point crucial pour comprendre ces questions d’accord, je vous la fais entendre en comparant les tierces la-do dièse et les tierces fa-la, sur les deux instruments, l’un accordé en pythagoricien (le virginal italien), l’autre en mésotonique (le clavicorde). Cette comparaison de tierces autour du la est possible du fait que les deux instruments ont le même la à 415 Hz.


 

 

IV3 suite de l'accordage des tierces pures en faisant sonner les harmoniques


https://www.youtube.com/watch?v=nwe0oCYpuxM

 

La tierce majeure naturelle étant donc, comme vous l’avez entendu, plus petite que celle de l’accord pythagoricien, ayant établi la tierce naturelle mi b-sol, il nous faut resserrer les quintes mi b-si b, si b-fa, fa-do, do-sol, de manière égale, pour les faire entrer dans cette tierce naturelle mi b-sol. Nous avons ainsi accordé cinq notes de notre gamme. Nous procédons ensuite par quintes successives; comme tout à l’heure à partir du mi b, nous partons maintenant du si b obtenu à l’étape précédente, on fait sonner l’harmonique de ce si b donnant la tierce ré, on accorde tous les ré sur cette harmonique. On a du même coup obtenu une nouvelle quinte sol – ré légèrement diminuée. De même à partir du fa, on fait sonner son harmonique la, on accorde la tierce fa – la, et du même coup la quinte légèrement diminuée ré – la ; etc de même on obtient mi (à partir de do), si (à partir de sol), fa dièse (à partir de ré), do dièse (à partir de la), et sol dièse (à partir de mi). En même temps que ces tierces, nous avons donc installé sur l’instrument une suite de quintes légèrement et également réduites, de telle sorte que chaque groupe de quatre de ces quintes consécutives forme une tierce naturelle. On a ainsi installé huit tierces majeures naturelles ; mais on ne peut en installer d’autres; en effet l’étape suivante consisterait à installer à partir du si la tierce naturelle ré dièse; on peut bien faire entendre cette tierce obtenue comme harmonique de si, mais on ne peut pas l’installer sur une touche puisque c’est déjà pris par le mi b. L’accord est ainsi terminé.



IV4 une quarte diminuée


https://www.youtube.com/watch?v=PvT1_vr1Xao

Remarquons qu’il ne faudrait pas, en jouant les touches si et mi bémol, s’imaginer (comme si l’on était au piano) que l’on joue une tierce majeure si – ré dièse. On trouverait que c’est faux. Mais ce n’est pas l’accord qui est faux ; ce ne serait pas non plus juste de dire : vous trouvez que c’est faux parce que vous n’êtes pas habitué ; non, c’est autre chose qu’il faut dire : vous croyez que c’est faux parce dans votre tête vous pensez tierce majeure si – ré dièse, alors qu’en réalité vous jouez une quarte diminuée si – mi bémol. D’ailleurs si vous jouez une suite d’accords dans laquelle figure cette quarte diminuée (ce qui peut se produire par le fait d’un retard), vous ne trouverez pas du tout que cela sonne faux ! Ecoutez cela : ça sonne parfaitement juste, alors que cet accord, pris à tort comme tierce majeure, sonne en effet faux. Est-ce qu’une telle harmonie existe réellement dans une pièce de musique de cette époque ? Eh bien oui, cela existe ! Ecoutez l’antépénultième accord de la toccate de Froberger que vous pouvez entendre sur ce blog, vous avez la quarte diminuée fa dièse – si bémol (faire entendre).

 


 

IV 5 Une suite de quintes réduites


https://www.youtube.com/watch?v=SnxAMcoWvtw

 

Pour revenir à notre accord mésotonique : nous avons donc installé une suite de quintes légèrement et également diminuées, de mi b à sol dièse, de telle sorte que chaque série de quatre consécutives de ces quintes donne une tierce naturelle. Et nous sommes ainsi arrivés à un sol dièse ; on fait entendre en dernier lieu l’harmonique sur le si qui donne la tierce, soit ce ré dièse qui ne peut être posé sur une nouvelle touche. De combien ce ré dièse est-il plus bas que le mi bémol initial ? Ecoutez cela : la différence est importante, nettement plus importante que le comma pythagoricien (à part le fait qu’elle va dans le sens opposé). Cette différence a un nom : le comma enharmonique




IV 6 Le comma enharmonique


https://www.youtube.com/watch?v=uZHDO6zPPRA

 

La tierce majeure naturelle est inférieure d’un comma syntonique à celle obtenue par quatre quintes naturelles ; donc chacune des quintes réduites pour entrer dans la tierce naturelle sera réduite d’un quart de comma syntonique par rapport à la quinte naturelle. Et au bout de douze pas de quintes réduites chacune d’1/4 c.s., nous arrivons à un ré dièse mésotonique qui sera donc de douze fois 1/4 c.s., donc de trois comma syntonique, plus bas que le ré dièse pythagoricien résultant d’une succession de quintes naturelles à partir du même mi b initial. (on pourrait dire aussi: la tierce mi b-sol mésotonique est diminuée de 1 comma syntonique (c.s.) par rapport à la tierce pythagoricienne correspondante ; celle sol-si d’un c.s ; celle si-ré dièse d’un c.s., donc la différence entre ré dièse mésotonique et ré dièse pythagoricien est au total de trois fois le comma syntonique).
Partant de notre ré dièse mésotonique (obtenu comme harmonique de si), pour aller au ré dièse pythagoricien, il faut donc lui ajouter 3 commas syntoniques; et pour aller de ce ré dièse pythagoricien au mi bémol, nous avons vu (voir la partie sur l’accord pythagoricien) qu’il faut descendre d’un comma pythagoricien. Donc le comma enharmonique, différence entre le ré dièse mésotonique et le mi bémol, vaut 3 commas syntoniques moins un comma pythagoricien.
C’est une différence très importante, qui vaut 41 cents, donc pas loin de la moitié d’un demi-ton ! Sur la vidéo, vous pouvez l’entendre concrètement.




IV 7 Caractérisation des tierces


https://www.youtube.com/watch?v=a-TvSw1K2G8



IV 8 Inégalité des demi tons


https://www.youtube.com/watch?v=Qgsh8Chit20

Considérons maintenant les demi-tons. Ici aussi, comme dans l’accord pythagoricien, il y a des demi-tons courts et des demi-tons longs, mais ce ne sont pas les mêmes que dans l’accord pythagoricien ; et par ailleurs, cette différence entre deux sortes de demi-tons est encore plus marquée que dans l’accord pythagoricien. Vous pouvez entendre cette différence sur la vidéo.
Vous remarquez que les demi-tons courts sont ceux pour lesquels le nom de la note ne change pas (p.ex. do – do dièse) ; les demi-tons longs sont ceux où le nom de la note change (do dièse – ré ou ré – mi b). Ici donc la notion de sensible n’est pas valorisée comme dans l’accord pythagoricien, puisque par exemple dans l’intervalle si – do, le si est en quelque sorte attiré vers le bas par le sol pour former une tierce naturelle, plus petite que la tierce du tempérament égal ; dans l’intervalle la – si b, le la est attiré par le fa, et le si b vers le ré, pour former chaque fois une tierce naturelle.
Il se trouve que la différence entre ces deux sortes de demi-tons est exactement d’un comma enharmonique (c.e.). Cela est facile à comprendre : en comparaison de tempérament égal, pour passer de do à do dièse, on doit (selon le même schéma que tout à l’heure pour le cas de l’accord pythagoricien, mais en inversant les valeurs), faire sept pas vers la droite, et donc diminuer chacune des sept quintes successives d’1/12 de c.e., donc au total de 7/12 de c.e. ; et entre do dièse et ré, aller de cinq pas vers la gauche, donc augmenter de 5/12 de c.e. ; on constate donc que la différence entre demi-tons mineurs et majeurs vaut 7/12 plus 5/12 de c.e., donc 12/12èmes de cette unité, donc exactement 1 fois cette unité.





IV 9 D'Anglebert + mésotonique


https://www.youtube.com/watch?v=5E1f9Rzlfuk

Dans la vidéo qui suit, vous voyez l’édition par Kenneth Gilbert des « Pièces de clavecin » de D’Anglebert (aux Ed. Heugel, Paris 1975). Lorsque j’ai ouvert pour la première fois le livre de clavecin de D’Anglebert à la page intitulée « Les Principes de l’Accompagnement », où il donne les bases nécessaires à la réalisation de la basse continue, j’ai été complètement sidéré. En effet il commence par énumérer systématiquement tous les différents intervalles existants. Il décrit ainsi des « demi-tons mineurs » : do – do dièse, mi bémol – mi…. et des « demi-tons majeurs » : do dièse – ré, ré – mi bémol…
Il explique par exemple que le demi-ton mineur est le complément au ton entier du demi-ton majeur, tout comme la tierce mineure est le complément à la quinte de la tierce majeure, ou tout comme la quarte est le complément à l’octave de la quinte. Donc il n’y avait aucun doute sur le fait que D’Anglebert parle d’une différence qui ne relève pas simplement de la fonction harmonique, mais bien d’une différence matérielle, repérable sur le clavier.
J’étais soufflé. Pour moi un demi-ton c’était un demi-ton, un point c’est tout. J’avais bien la notion de demi-ton diatonique et chromatique, mais il s’agissait là d’une notion purement théorique, et en tous cas pas d’une différence matérielle! J’ai eu beaucoup de peine à admettre cela. Si j’avais eu à l’époque les explications que je vous donne aujourd’hui, j’aurais gagné beaucoup de temps !
Le fait que D’Anglebert désigne comme majeurs ceux où l’on change de nom de note, comme mi – fa, et mineurs les autres, montre bien qu’il se base sur l’accord mésotonique.





IV 10 L'accord en pratique


https://www.youtube.com/watch?v=3qN-sHl2HUM

 

Je vous indique maintenant comment, en pratique, je réalise l’accord mésotonique sur mon clavicorde. Le travail est fortement simplifié par le fait que les espaces entre points de contacts des tangentes jouant sur la même paire de cordes ont été préalablement fixés une fois pour toutes de manière que les demi-tons résultants s’intègrent bien à l’accord mésotonique. Cette détermination préalable des points de contacts des tangentes, obtenue en courbant légèrement, si nécessaire, les tangentes au moyen d’une paire de pinces, n’est pas une petite affaire.
Je ne procède pas comme on le fait d’habitude, en accordant d’abord toutes les notes d’une octave, puis en généralisant au reste du clavier. J’accorde d’abord le do médian au moyen d’un diapason électronique (en pratique, pour que le la soit à 415 HZ, j’accorde ce do sur le si du t.é. 440, augmenté de 9 cents). Puis j’accorde tous les do au moyen des sons harmoniques donnant l’octave. Ceci fait, j’ai en réalité déjà accordé toutes les notes faisant partie d’un même groupe de touches qu’un do, soit les si et do dièse du médium et de l’aigu, ainsi que le dernier groupe de quatre à l’extrême aigu (la, si b, si, do ; mais pour ce groupe-ci une vérification sera utile).


Pour accorder les groupes suivants, je joue le do (celui situé vers le milieu de la clé de fa) et je lui fais donner l’harmonique en le frôlant au point de division par cinq ; cela me donne la tierce majeure naturelle mi ; j’accorde le mi aigu de manière qu’il donne exactement la même fréquence, et à partir de là les autres mi.

 

En fait, j’ai ainsi accordé aussi les notes appartenant à un même groupe qu’un mi, soit le mi b vers le milieu de la clé de fa, ainsi que les ré et mi b des octaves au-dessus. A partir des ré ainsi obtenus, j’accorde les autres ré. A partir du ré situé vers le milieu de la clé de fa, j’obtiens le fa dièse comme harmonique ; j’accorde le fa dièse aigu de manière qu’il donne la même fréquence ; puis les autres fa dièse ; j’ai ainsi accordé aussi les fa et les sol; puis, à partir du fa à la hauteur de la clé de fa,je fais donner son harmonique donnant la tierce majeure et vérifie que le la obtenu coïncide bien avec le la du dernier groupe aigu, censé être déjà accordé (vérification). A ce moment, tout est accordé sauf certaines des notes inférieures au ré du milieu de la clé de fa ; et je complète les notes non encore accordées, par octaves à partir des notes déjà accordées.




IV 11 Vérifications


https://www.youtube.com/watch?v=TAZodM3QjfI

 

Ceci fait, il est intéressant de constater concrètement que certaines particularités de l’accord mésotonique sont respectées :

par exemple, que le ré dièse harmonique du si, se distingue bien du mi b ;

 

le la dièse, harmonique de fa dièse, se distingue de la même manière du si b ;

 

idem pour le mi dièse (harmonique de do dièse), avec le fa ;

 

et que le si dièse obtenu par tierce à partir du sol dièse se distingue bien, de la même manière, du do.

 

Il est intéressant aussi de chercher si l’on entend la différence entre la quinte naturelle, donnée par l’harmonique au point de subdivision par trois, et la quinte du mésotonique. Ici à partir du ré vers le milieu de la clé de fa, je frôle sa corde au point de subdivison par 3 : on entend que le son obtenu est très légèrement au-dessus du son obtenu en abaissant la touche du la une octave et une quinte au-dessus. Cette différence, d’environ 5 cents (un quart de comma syntonique), est à la limite de ce que je peux percevoir. L’entendez-vous ?
Si tout cela joue, il est probable que l’accord soit bien réalisé.




V 1 Généralités sur tempéraments


https://www.youtube.com/watch?v=4Z7bvNs3HFg

 

Pour situer historiquement l’accord mésotonique, j’évoque dans cet article la manière dont ont été dépassées les limites inhérentes à cet accord.
L’accord pythagoricien et l’accord mésotonique ont évidemment une limite : ils ne permettent pas de jouer dans toutes les tonalités. Plus que cela : si on a accordé un sol dièse, on ne peut pas utiliser la même touche pour faire entendre un la bémol (de même pour un mi bémol et un ré dièse), cela sonne faux. Cela n’a pas beaucoup d’importance au XVIème et au début du XVIIème siècle, parce que l’harmonie dans laquelle se meuvent la plupart des pièces de musique reste dans les limites de ces accords. Mais de plus en plus, les compositeurs cherchent à élargir le domaine de leur langage harmonique et la question va se poser.
Lorsqu’un compositeur écrit une pièce avec des la bémol, on peut, au clavecin, ajuster l’accord (mais ce n’est pas possible au clavicorde lié), par exemple en réalisant un mésotonique transposé. Mais il peut être fastidieux de devoir faire un accord différent pour chaque pièce. Par ailleurs, s’il y a dans une pièce à la fois des sol dièse et des la bémol, cette solution n’est pas suffisante.
Dès la fin du XVIIème, apparaissent des tendances qui amènent à excéder les limites de l’accord mésotonique, d’où un problème pour les théoriciens de l’accord des instruments. Ce problème a été abordé et résolu de manière totalement différente dans les diverses traditions nationales.
Dans l’école française, pour rendre jouable des pièces aux tonalités hors du commun, comme l’extraordinaire pavane en fa dièse mineur de Louis Couperin, ou d’autres pièces avec des passages en la bémol comme certaines pièces de Dumont ou des pièces de style français de Froberger (tombeau de Blancrocher ou certaines des superbes lamentations), les théoriciens français sont partis de ce qui existait, donc évidemment de l’accord mésotonique, par des ajustements ponctuels, de manière à donner aux accords de telles pièces une saveur particulièrement intéressante ; ils ont abordé le problème dans un état d’esprit artisanal, ou comme un excellent cuisinier qui partant des produits qu’il a à sa disposition, cherche des associations intéressantes, des épices qui relèvent le goût (pour les Anglais, voir dans la partie « enregistrements commentés », la discussion dans le commentaire à la pièce de Byrd « Ut ré mi fa sol la »).
Par contre, je crois qu’on peut dire que les Allemands ont abordé le problème dans un esprit différent : il ne s’agit pas seulement de satisfaire le goût, mais aussi un certain esprit de système.




V 2 Idée de base


https://www.youtube.com/watch?v=RpanOCllD6U
Il s’agit de permettre de faire le tour du cycle des tonalités. C’est-à-dire que les quintes successives ne se contentent pas d’être alignées comme tout à l’heure sur une ligne droite, mais, dès le moment où on admet que le la bémol est la même note que sol dièse, mi bémol la même note que ré dièse, les quintes, et par conséquent les tonalités elles-mêmes, peuvent être présentées sur un mode cyclique. Mais cela suppose que soit résolu le problème posé par le comma pythagoricien, c’est-à-dire qu’il faut de décider comment la différence initiale ré dièse – mi bémol va être annulée, autrement dit encore comment le comma pythagoricien va être réparti.
Le « répartir » sur une seule quinte, cela revient à l’accord pythagoricien ; mais nous avons vu que cela ne peut pas constituer un bon tempérament puisque dans ce cas le mi b ne peut être utilisé comme un ré dièse et que l’intervalle sol dièse-mi b ne peut être utilisé comme quinte.
Nous avons vu que le comma pythagoricien peut être également réparti sur les douze quintes, ce qui donne le tempérament égal. Mais ce tempérament n’est pas satisfaisant, dans la mesure où toutes les tonalités ont la même couleur, p.ex. toutes les tonalités majeures sont comme du do majeur transposé. C’est accepté sur le piano moderne; mais au clavecin ou au clavicorde, dont les sons ont plus d’harmoniques aiguës, le tempérament égal donne un résultat plutôt triste.
Mais entre 1 et 12, il y a bien d’autres possibilités ! Nous allons brièvement examiner ici ce que peut donner la répartition du comma pythagoricien sur quatre et celle sur six quintes.
Voyons donc ce que donne la répartition sur quatre quintes. Je resserre quatre quintes successives, par exemple les quintes do-sol, sol-ré, ré-la, la-mi. Et à la réflexion, je me dis : ce que je fais ici ressemble beaucoup à ce que j’ai fait dans l’accord mésotonique lorsque j’ai resserré quatre quintes dans une tierce naturelle ! et il se trouve que le comma pythagoricien est proche du comma syntonique (la différence, de moins de 2 cents, n’est pratiquement pas audible). Puisqu’il en est ainsi, pourquoi ne pas le faire carrément – à savoir mettre au milieu du clavier une tierce naturelle do-mi, avec des quintes naturelles autour… et la différence entre c.p. et c.s. se perd parmi les quintes, on ne sait pas trop où elle est mais c’est égal !




V 3 Réalisation


https://www.youtube.com/watch?v=9zwhTTbsLLE

Il s’agit donc, redisons-le, de mettre au milieu du clavier une tierce naturelle do-mi, avec des quintes naturelles autour. En procédant ainsi, on se base sur le fait que le comma pythagoricien et le comma syntonique sont très proches, la différence étant d’environ deux cents (centièmes de demi-ton du tempérament égal), une différence que l’on n’entend pratiquement pas. Nous devrions réduire le système des douzes quintes naturelles d’une quantité égale au comma pythagoricien (c.p.) pour en faire un bon tempérament, et on pourrait répartir la réduction uniquement sur les quatre quintes successives do-sol-ré-la-mi, chacune étant donc réduite d’un quart de c.p. Mais au lieu de cela, on a choisi d’installer la tierce naturelle do-mi (comme on l’a fait tout à l’heure pour réaliser l’accord mésotonique, mais ici sur une seule tierce): ainsi, au lieu de réduire le système des douze quintes d’un c.p., on l’a réduit seulement d’un comme syntoniques (c.s). La différence entre c.p. et c.s doit donc se retrouver quelque part, c’est à dire que l’une des quintes larges autour de celle do-mi sera réduite de cette infime différence (en pratique, ayant installé la tierce do-mi, on place deux quintes naturelles vers en haut à partir du mi, soit mi-si et si-fa dièse; et cinq quintes naturelles vers le bas à partir du do, soit fa-do, sib-fa, mib-si b, la b-mi b, et ré b-la b; le ré b devant être considéré comme équivalent d’un do dièse (puisqu’il s’agit de créer un bon tempérament); ce sera donc la quinte restante fa dièse-do dièse qui se trouvera d’office diminuée de cette petite quantité).
Cette manière de faire, outre la satisfaction qu’ainsi on a le plus possible d’intervalles naturels (une tierce et sept quintes), donne un résultat très intéressant.




V 4 Résultat


https://www.youtube.com/watch?v=gJiK4YfavGY

J’ai réalisé ce tempérament sur ce clavier de clavecin ; écoutez ceci. La tiece do-mi est très apaisée, une tierce naturelle comme dans l’accord mésotonique ; elle se compose du quatre quintes un peu réduites comme on l’a vu. Prenons maintenant la tierce majeure sol-si ; elle se compose de trois quintes un peu réduites sol-ré, ré-la et la-mi, et d’une quinte naturelle mi-si, non réduite : cette tierce sol-si sera donc un peu plus large que celle do-mi. Celle ré-fa dièse se compose de deux quintes réduites ré-la, la-mi, et de deux non réduites, mi-si et si fa dièse, elle sera donc encore un peu plus large. Nous avons donc un effet d’élargissement progressif des tierces majeures à mesure que l’on s’éloigne de la tonalité de do. Enfin la tierce sur mi sera très large, presque pythagoricienne (je dis presque parce qu’il faut tenir compte de la petite différence entre cp et cs). Le même effet d’élargissement des tierces a lieu en descendant, à partir de la tierce do-mi vers fa-la, puis si bémol-ré, puis mi bémol-sol et enfin la bémol-do et ré b-fa, toutes deux pythagoriciennes.
Cet effet d’éventail est un résultat vraiment extraordinaire. C’est une expérience irremplaçable de découvrir comment, à partir des tonalités usuelles comme do, sol, fa, pour lesquelles la tierce de l’accord majeur de tonique est très apaisée, se déploie l’éventail des tonalités. Au fur et à mesure qu’on s’éloigne des tonalités usuelles, la tierce de l’accord de tonique majeur devient progressivement un peu plus large, cela « tire » un peu, ce qui donne à chaque tonalité une couleur différente et chaque intervalle au sein de la tonalité a une saveur particulière.


V.5 Couleur accordale. Exemple musical

https://www.youtube.com/watch?v=Xpy3OGHduRY

 

Mais ce tempérament a tout de même un défaut : on peut trouver quel’ouverture de l’éventail est assez rude, je veux dire qu’on passe trop vite des tonalités apaisées à celles qui ont la tierce pythagoricienne, qui est presque désagréable à entendre ; et il y a trop de ces tierces très larges. Il y a diverses manières d’adoucir cette progression des tierces et d’éviter les tierces trop larges, et cela donne divers tempéraments qui ont des noms différents. Nous n’allons pas les détailler ici. Mais le principe de tous ces tempéraments baroques allemands reste le même, à savoir de mettre au centre une tierce sinon naturelle du moins proche de la tierce naturelle, et de mettre alentour des quintes naturelles, de manière à avoir cet effet d’éventail, c-à-d d’élargissement des tierces majeures au fur et à mesure qu’on s’éloigne des tonalités usuelles.
On sait que Bach n’aimait pas les tierces trop larges, et qu’il recommandait à ses élèves de mettre au départ une tierce un peu plus large que naturelle – sinon on le repaie en étant obligé de compenser par des tierces trop larges.
Vous savez peut-être qu’un claveciniste et musicologue américain, Bradley Lehman, pense avoir trouvé la manière dont Bach accordait le clavecin ; il pense avoir découvert que les dessins à la plume de la page de titre du manuscrit autographe du clavecin bien tempéré recèlent des instructions pour l’accordage. Le tempérament qui en résulte est intéressant ; l’éventail des tonalités est toujours présent, mais il est très adouci et il n’y a pas de tierce pythagoricienne.
Je mentionne encore un type de tempérament consistant à répartir le comma pythagoricien sur six quintes, en gardant les six autres quintes pures. Ici les quintes un peu réduites sont celles fa-do-sol-ré-la-mi-si, donc celles qui se jouent uniquement sur les touches blanches du clavier ; les quintes restées naturelles, donc un peu plus larges, sont celles si-fa dièse, fa dièse-do dièse, do dièse-sol dièse, la b-mi b, mi b-si b et si b-fa, donc ce sont celles qui impliquent une ou deux touches noires. De cette manière, lorsqu’on joue en fa, en do ou en sol, la tierce majeure de l’accord de tonique est une tierce assez apaisée, quoiqu’un peu plus large que la tierce naturelle ; et lorsqu’on joue sur des tonalités à dièses ou à bémols, les tierces majeures deviennent plus larges ; les tonalités ont donc une couleur accordale. Il y a trois tierces pythagoriciennes sur si, fa dièse et do dièse (ou ré bémol), ce que Bach n’aurait pas apprécié. Ce tempérament semble volontiers utilisé pour accorder les instruments du type pianoforte ; Pierre Goy l’utilise dans son disque sur les claviers mozartiens (pianos carrés, clavicordes non liés).
Quant au piano moderne, on l’accorde généralement au tempérament égal. En effet, l’inconvénient du tempérament égal, à savoir que les tonalités n’ont pas de couleur accordale propre (c’est à dire que toute tonalité majeure est du do majeur transposé) est traditionnellement accepté sur le piano moderne, peut-être à cause du fait qu’il a peu d’harmoniques aiguës. Dans ce cas, on semble admettre que la tonalité est ici comme une référence culturelle; si par exemple j’écris en sol bémol cela crée inévitablement une référence à un célèbre impromptu de Schubert, à une étude de Chopin…, et l’on admet que cet ensemble de références suffit à créer un horizon mental qui n’a pas besoin de se traduire par une différence sonore caractérisant la tonalité.






13/02/2017
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