Martin - Messe pour double choeur
Franck Martin - Messe pour double choeur ici
un article de wikipedia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Messe_pour_double_ch%C5%93ur_a_cappella
Composition et historique
La composition s'étend sur plusieurs années. Le Kyrie, le Gloria, la première partie de Credo et le Sanctus datent de 1922, la seconde partie de Credo est composée en 1924, et l'Agnus Dei en 1926Wi 1. Mais Martin ne la publie pas, ni ne semble intéressé de l'entendre exécuter. Il s'en explique plus tard : « En effet, je ne connaissais, à cette époque de ma vie, aucun chef de chœur qui eût pu s'y intéresser. Je n'ai jamais présenté à l'Association des Musiciens Suisses, pour qu'on l'exécute dans une de ses fêtes annuelles et, en fait, je ne désirais nullement qu'elle fut exécutée, craignant qu'on la juge d'un point de vue tout esthétique. Je la voyais alors comme une affaire entre Dieu et moi »3.
En effet, Frank Martin, fils d'un pasteur calviniste, a toujours été animé d'une foi profonde, qui a gouverné autant sa vie que son œuvre artistiqueCo 1. Cette messe semble être un projet personnel, remplissant un besoin purement spirituel, que Martin n'était pas prêt à dévoiler et disséminer dans le publicGl 1, ni à ses pairs dont il craignait un jugement sur un plan purement technique et artistique, ignorant la dimension spirituelle de l’œuvreKi 1. La deuxième partie des années 1920 marque d'ailleurs pour Martin le début d'un intérêt particulier pour la composition de musique sacrée, avec également une Cantata sur la nativité (1929), restée inachevée4. Ce n'est qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale qu'il consent enfin à publier de la musique sacrée avec In Terra pax (1944)5. Et il continuera cultiver et publier ce style de musique toute sa vie jusqu'au Requiem de 1972.
Martin ne s'est jamais exprimé directement sur le sujet de savoir pourquoi, élevé dans une culture protestante, il a choisi une messe catholique comme support d'un projet spirituel. Selon Glassman, il faut peut-être rechercher une réponse dans des commentaires qu'il a tenu à propos de son Requiem, composé en 1972: « Ce texte liturgique qui dans sa richesse évoque tour à tour l'attente du repos, la supplication, l'adoration pure ou les angoisses du Jugement dernier, je m'y suis identifié pleinement malgré tout ce qui peut, intellectuellement parlant, nous le rendre étranger. Ces images issues du Moyen-âge parlaient directement à ma pensée la plus profonde »Gl 2,6.
Le manuscrit restera dans les affaires personnelles du musicien, pendant près de quarante ans. Ce n'est qu'en 1962 que le chef du Bungenhagen Kantorei de Hambourg, Franz W. Brunnert, remarque l’œuvre dans la liste des compositions de Martin et, après avoir déployé des trésors de persuasion, arrive à le convaincre d'en accepter une exécution publiqueCo 1. L’œuvre est créée en novembre 1963Wi 2 mais il faut encore attendre dix ans avant qu'elle ne soit publiée7. Elle rencontre à partir de cette date un grand succès.
Analyse de l’œuvre
Cette messe est composée dans un style relativement classique, modal et diatonique5, et s'inscrit dans un héritage grégorien7. Melvin Unger la cite comme un des rares exemples de Messe composé au XXe siècle qui « capture l'essence du style ancien ecclésiastique », avec la Messe en sol mineur de Ralph Vaughan Williams (1921), la Messe en sol majeur pour chœur mixte a cappella de Francis Poulenc (1937) et la Missa Brevis de Benjamin Britten (1959)8. Alex Ross porte le jugement suivant « Elle sonne comme une messe de la Renaissance, égarée dans le temps, inconsciente des siècles écoulés et des horreurs advenues »Co 1.
Facile et agréable à écouter, cette œuvre est en revanche d'exécution difficile, à la fois sur le plan musical, de par ses difficultés harmoniques, tonales, polyphoniques et rythmiques, mais également sur le plan vocal. Chaque voix explore les extrême graves et aigus de sa tessiture et la partition impose une charge et une fatigue importante sur le chœur, réservant cette œuvre aux ensembles les plus expérimentésRo 1. Ayant composé cette Messe comme pur acte de foi, sans projet d'être réellement exécuté, il ne semble pas avoir pris en considération les problèmes vocaux des chanteurs9. La difficulté s'étend également à l'équilibre entre les pupitres : il arrive fréquemment que l'extrême aigu naturellement brillant des soprano cohabite avec l'extrême grave plus effacé des basses, avec toutes les autres voix remplissant l'harmonie intermédiaire, et réussir un bon équilibre et fondu global de l'harmonie est un défi même pour les chœurs les plus virtuosesGl 1.
Martin fait une large utilisation de contrastes extrêmes et soudains dans cette œuvre, sur le plan des textures vocales, de la dynamique, du tempo, de la mesure et de la tessitureGl 3. Le compositeur varie l'utilisation des huit voix de l’œuvre, afin d'obtenir des textures vocales contrastées. Parfois les huit voix agissent en deux chœurs bien séparés à quatre voix (écriture polychorale), l'un répondant à l'autre, ou accompagnant l'autre. Parfois la composition est véritablement à huit voix. D'autres fois, encore, Martin oppose les voix d'hommes aux voix de femmesGl 4. Ce style d'écriture rappelle à Glassman le style polychoral vénitien (en) (Cori Spezzati), et notamment celui de Giovanni GabrieliGl 5.
Cette messe est structurée selon les cinq parties traditionnelles de l'ordinaire de la messe catholique en latin7.
Kyrie
Le Kyrie est d'inspiration médiévale7 avec de longs mélismes, passant de chœur en chœur, rappelant le plain-chantCo 2 et des tenues de notes rappelant le bourdon médiéval. Le compositeur alterne les textures chorales opposant les deux chœurs et des textures unifiées à huit voix (mesures 48-57 par exemple)Ro 2. Le tempo s’accélère au milieu de la pièce, créant une agitation et une tension subtile, qui ne s'apaise qu'à la toute fin en une belle tierce picardeCo 2.
Selon Bruce Ventine, le matériel mélodique du thème principal chanté par les alto au début de la pièce, « sévèrement heptatonique » et faisant usage abondant des secondes et des tierces, est non seulement utilisé dans le Kyrie, mais également dans les idées mélodiques de l'ensemble de l'œuvreGl 6.
Un autre élément structurant du Kyrie structure également l'ensemble de l’œuvre : la quarte parfaite. Les voix entrent séparés par cet intervalle, et la tonalité de fin est une quarte en dessous de la tonalité de débutGl 7.
Gloria
Le mouvement commence par deux majestueuses expositions, en strettes, de l'incipit Gloria in excelis Deo. Le Quoniam tu solus Sanctus et le Cum Sancto Spiritu déploient une riche polyphonie, avec des réminiscences de Jean-Sébastien Bach auquel Martin vouait une profonde admirationCo 2.
Credo
L'intonation n'est pas confiée à un soliste comme il est de tradition, mais est chantée par l’ensemble du chœur en une sorte d'"intonation chorale" (mesure 1 à 10)Gl 8. Vantine analyse la structure globale de ce mouvement comme quatre variations du matériel musical présent dans les mesures 1-10Gl 8.
Le credo est globalement homophonique, mettant en valeur et soulignant l'importance du texte de la profession de foi chrétienneCo 2. Martin quitte par moment la simple énonciation du texte en illustrant richement certaines formules, sortes d'enluminures musicales, comme le lumen de lumine, le crucifixus ou un et resurexit luxuriant de polyphonieCo 2.
Sanctus - Benedictus
Le Sanctus est un exemple d'un trait caractéristique du style musical de Frank Martin, qui est de superposer petit à petit des couches d'activité musicaleGl 5: la pièce commence par un simple ostinato de voix d'hommes, sur lequel vient s'ajouter mesure 10 les voix ondulantes et indépendantes des soprano des deux chœurs. Mesure 21, les soprano et alti du chœur II ajoutent leur propre ligne mélodique à cet ensembleGl 9.
Globalement, ce mouvement utilise largement l'opposition des deux chœurs, en Cori SpezzatiRo 3. Notamment, le Benedictus oppose les quartes et septièmes parallèles du chœur I, aux quintes scandées par le chœur IICo 2. Martin oppose aussi les rythmes et le phrasé, mélismatique dans le premier chœur et scandé dans le secondRo 3.
Agnus Dei
Cette partie a été composée séparément, quatre ans et demi plus tard que le reste de l’œuvre. Glassman note une évolution stylistique dans ce mouvement, en remarquant le rôle particulier du chœur II qui semble cantonné à un simple support harmonique du chœur I, ce que l'on observe nulle part ailleurs dans l’œuvreGl 10.
Toutefois, cette partie ne se démarque pas de l'ensemble de l’œuvre, en conservant le même style "archaïque moderne", et en faisant usage des mêmes intervalles. La récapitulation de ce mouvement commence mesure 39 sur un fa dièse, alors que le mouvement commence sur un si, séparés par une quinte qui est le renversement de la quarte, intervalle leitmotiv de l'œuvreGl 11